28 Avril 2017 de 14h à 18h
Université de NICE
Sale plate-Amphi 031
Pôle universitaire St Jean d’Angély 3
24 avenue des diables bleus 06357 Nice
Programme :
13h30-14h : Accueil des participants
14h-14h30 : présentation du séminaire et introduction par Pinar Selek (URMIS): « Travailler avec celles et ceux qui sont en marge »
14h30-15h10 : Intervention de Swanie Potot (URMIS)
15h10-15h40 : Discussion – (discutante : Soline Laplanche-ERMES)
15h40-16h : Pause cafe.
16h-16h40 : Intervention de Annick Madec (LABERS/UBO)
16h40-17h20 : Intervention de Sylvie Monchatre (SAGE)
17h20-17h50 : Discussion (discutant : Jean-Luc Primon-URMIS)
17h50-18h : Conclusion de la journée
Ce séminaire s’inscrit à la suite du séminaire organisé par Sylvie Monchatre et Pinar Selek, au sein du laboratoire SAGE, avec le soutien de la faculté de sciences sociales, à Strasbourg, le 27 mai 2016. Il résultait de la rencontre de deux sociologues amenées à partager leurs interrogations sur leur discipline : la sociologie, pour qui ? Et pour quoi (en) faire – en dehors de productions scientifiques qui sortent assez peu de cercle d’initiés ? Ces questions se posent dans un contexte d’injonctions massives à l’ouverture de la science en général et des sciences sociales en particulier, sur la société. Jamais on n’a autant questionné l’utilité des sciences sociales que depuis la mise en place d’un nouveau management public qui pousse à l’efficacité des activités de recherche et d’enseignement, qui demande des résultats et réclame des « préconisations pour l’action ». Nous connaissons l’enjeu de ces appels à l’ouverture : répondre à une demande solvable, contribuer à la baisse des dépenses publiques par des financements privés, pratiquer une sociologie utilitaire, utilitariste, qui réponde aux besoins des décideurs – au risque de laisser dans l’ombre ce que Robert Castel appelait la « demande sociale informulée ». Cette critique de l’utilitarisme dominant nous a amenées à nous questionner sur la difficulté de notre discipline à faire entendre – et accepter – sa voix dans l’espace public. La sociologie est-elle vouée à se pratiquer dans des cadres institutionnels étroits, ceux définis par et pour la science, par et pour le politique, et à y rester enfermée ? A cette question, nous ne pouvions que répondre que non : la sociologie n’est pas condamnée à cet enclavement.
L’enjeu de ce premier séminaire était donc de réfléchir à ce que recouvre une « sociologie publique », c’est-à-dire à une sociologie susceptible d’entrer en conversation avec des publics plus larges que les pairs ou les donneurs d’ordres. Les intervenants, J. Larcher, E. Ollion, M. Pialoux, S. Monchatre, P. Selek, A. Madec, P. Poupin et M. Hadjiiski ont apporté plusieurs éléments de réponses à ces questions : Comment instaurer un dialogue sans se faire prendre au piège de la dissymétrie qui est au cœur de la relation entre les sociologues et les publics qu’ils rencontrent pour commencer sur leurs terrains ? Si la relation d’enquête est potentiellement traversée par cette hiérarchie entre les savoirs, comment transformer l’entretien en « exercice spirituel » (Bourdieu, 1993) ? Comment se prémunir contre les effets d’imposition – imposition d’interprétation ou imposition d’analyse – que comporte toute conversation entre des locuteurs et/ou acteurs inscrits dans une hiérarchie de positions sociales ? Comment entrer en conversation en dialoguant à égalité, en laissant le public « prononcer la sentence » (comme le suggère Annick Madec) ?
Depuis le cercle s’est élargi : avec Annick Madec et Swanie Potot, ce séminaire s’est inscrit dans un espace et temps plus larges, en associant plusieurs laboratoires et disciplines : de Strasbourg à Nice et bientôt à Brest.
À Nice, au sein d’URMIS, avec la collaboration de SAGE, de l’ERMES, de LABERS/UBO et de CIPH, nous proposons de continuer cette discussion, pour réfléchir plus particulièrement à la manière dont la sociologie peut contribuer à rendre publiques les expériences de mobilité/ migration dans des espaces en redéfinition. Ce processus de redéfinition est lié au système économique mondialisé qui creuse les écarts existants sur la planète par la déterritorialisation du capital et l’intensification des connexions économiques à travers le monde. D’abord la dérégulation du marché du travail et l’accroissement des écarts de richesses entre les régions condamnent une partie importante de la population mondiale à être dans un constat mobilité pour la survie. Ensuite, ces emplois illégaux répondent aux besoins des entreprises sans appartenir aux régulations étatiques (délocalisations sur place- E.Terray). Leur fragilité administrative les contraint à la discrétion. Dénués de la citoyenneté, les personnes issues de la migration sont de plus en plus en marge. Cela complexifie le travail sociologique sur ce terrain. Depuis deux décennies, les critiques du nationalisme méthodologique (Dumitru, 2014 ; Wimmer et Glick Schiller, 2003) mettent en question les études sur les migrations n’abordant que les effets de celles-ci sur la société d’accueil et permettent aux nouveaux travaux sur le racisme et des discriminations qui intègrent dans les analyses la capacité d’action des non-sédentaires.
Néanmoins, cela ne suffit pas à rendre publiques les expériences qui en découlent ainsi que les communautés de destins qui en résultent. Comment dès lors rendre compte de la façon dont ces expériences multiformes sont affectées par une production sans fin de discours politiques, de représentations qui contribuent à leur stigmatisation ? Comment la sociologie peut devenir publique auprès des personnes en marge, qui sont dans la fragilité de la clandestinité ? Dans quelle mesure le regard du chercheur peut-il contribuer à la dignité des personnes interrogées ?
Au cours de cette journée, nous nous demanderons comment rendre compte de ces expériences de mobilité multiformes avec celles et ceux qui sont concernés. D’une part comment en rendre possible la restitution, d’autre part, quels sont les effets en retour de cette conversation sur les enquêtés ? Rendre la sociologie publique, c’est refuser de s’arrêter aux constats en déplorant essentialisation, disqualifications, stigmatisations ou assignations à identité subies par nombre de « mobiles ». C’est faire le pari que les représentations peuvent être bousculées par la connaissance d’expériences vécues qui démontrent que toute culture est vivante (Malinowski), donc mouvante. L’appréhension et compréhension du monde est modifiée par la mobilité. Si l’on accepte de penser que la compréhension du monde est incluse dans la définition de la culture, la culture – souvent dit culture générale, entendue comme accumulation de connaissances théoriques ou livresque – des « immobiles » comme celle de « mobiles » est augmentée par la connaissance des expériences acquises dans la mobilité. La sociologie publique participe à l’ouverture du débat public à celles et ceux qui en sont trop souvent écartés au motif qu’ils/elles ne disposent pas des connaissances suffisantes.
Swanie Potot (URMIS), à partir de ses enquêtes auprès de migrants roumains, dits roms, partagera son interrogation sur le rôle et la place du chercheur sur le terrain, auprès d’un public que la précarité quotidienne rend peut sensible aux questionnements sociologiques mais qui est demandeur d’autres formes d’implication. Elle nous propose de traiter la dimension morale dans cette démarche. Sylvie Monchatre (SAGE) nous dira que volonté ne suffit pas pour dépasser les hiérarchies sociales dans lesquelles le chercheur (la chercheuse) se situe. Pour rendre égalitaire sa relation avec son interlocutrice qui est une femme issue de l’immigration, elle avait essayé de mener ensemble un travail de récit de vie, pour la transmission du savoir. A quelles conditions une expérience peut-elle se transmettre et être rendue publique ? A partir d’une réflexion sur l’échec de cette expérience qui dévoile la fragilité de ce travail collectif, elle discutera les conditions de transmission des expériences de violence/d’exclusion/de vulnérabilité. Annick Madec (LABERS/UBO), à partir de ses travaux qui ont pris appui sur l’écriture pour rendre publique cette conversation, notamment autour de son livre Le quartier, c’est dans la tête. L’histoire vraie de Stéphane Meferti, Flammarion 1998, continuera à la même réflexion, en proposant de réfléchir sur la notion qu’elle avance souvent: converser qui entent un rapport d’égalité dans l’échange avec les auteurs et avec les interlocuteurs. Qu’est-ce qui se passe quand la demande, l’initiative vient des personnes concernées qui veulent produire le savoir à partir de leurs propres expériences. C’est une autre type de contribution de la (du) sociologue au travail de rendre la sociologie publique. Regarder vingt ans après ce quartier nous permettra de voir la force de la sociologie narrative : ouvrir le cercle de conversation.
Venez... réfléchissons ensemble!
Sociologie, terrains, société : Rendre publique la sociologie des expériences de mobilité